Eglise de Sassenage

Pierre tombale - Eglise Saint-Pierre de Sassenage
Pierre tombale – Eglise Saint-Pierre de Sassenage

Il existe dans l’église de Sassenage un témoignage historique et religieux dérobé au regard des visiteurs et paroissiens, en la forme d’une pierre sculptée sur place certainement contemporaine de la construction de la base du très beau clocher roman XIIe encore visible aujourd’hui.

Cet article propose plusieurs commentaires sur le bas-relief. En premier, une lecture néophyte (la mienne !). En deuxième lieu, la notice établie par Claude Muller, historien du Dauphiné. Enfin, le commentaire d’Elyane Saussus, membre de la commission d’art sacré du diocèse de Grenoble-Vienne.

Le soubassement du clocher est lui daté du XIe, la pierre étant prise dans la maçonnerie est donc à priori contemporaine de cette époque.

Pierre tombale - Scène principale
Pierre tombale – Scène principale
Scène principale - Visages
Scène principale – Visages

Cette pierre se trouve aujourd’hui située dans la chaufferie attenant au choeur, aménagée sous le clocher. Pour des questions de sécurité ce local est fermé à clef, et donc inaccessible au visiteur. Un mal pour un bien, cette contrainte ayant certainement contribué à conserver à l’oeuvre son apparence originelle.

La pierre est taillée en un parallélépipède régulier, si on en juge les deux surfaces visibles, non prises dans la maçonnerie du mur. Le bloc doit faire dans les 80 cm de long. Les surfaces non sculptées révèlent une finition grossièrement bouchardée.

 

Ange au tombeau ouvert
Ange au tombeau ouvert

Plusieurs angles d’éclairage ont été essayés. L’éclairage rasant à 45 degrés est celui que j’ai retenu pour restituer au mieux le dessin. L’éclairage de face écrasait trop la scène.

La lecture du dessin n’est pas immédiate, malgré l’excellente conservation de la pierre et de la sculpture. Une lecture rapide révèle cependant :
 

  • Mis en valeur pas une encadrement en forme de voûte, à droite de la scène : un adulte encadré de deux personnages de plus petite taille. Les différences de taille nous renseignent-elle sur les âges (auquel cas il s’agit d’enfants) ou sur la symbolique ? L’adulte tient l’enfant à sa droite par la main. Les mains sont finement dessinées. Les visages sont en forme goutte inversée. L’enfant à sa gauche tient une sorte de bâton au dessus de sa tête, et semble béni par l’adulte. Un visage adulte apparaît derrière le personnage principal. Ce visage n’est porté par aucun corps, seules des mains apparaissent sur l’abdomen du personnage central, qui semble ceinturé (porté ?) par la personne du second plan. Cette scène serait une représentation de la descente du Christ de la croix.
     
  • L'ange - Détail
    L’ange – Détail
  • Sur la gauche, un tombeau entr’ouvert que domine un autre personnage qui semble être un ange, comme le suggèrent les ailes. Le dessin du visage est sommaire comparé à ceux du Christ et des autres personnages. L’ange soulève la pierre tombale de sa main droite.
     
  • A l’extrême gauche, deux personnages dans une posture très statique, aux visages dessinés à plat avec un trait quasiment primitif. Le sourire était-il à l’époque représenté comme nous le faisons aujourd’hui, avec un trait en arc-de-cercle ? Auquel cas un personnage semblent sourire. Le deuxième personnage, tout à gauche, est grossièrement ébauché, seul le contour du corps est travaillé. Ces personnages campent-ils les femmes, premiers témoins de la résurrection ?
  • J’en profite pour reproduire sur cette page la notice établie par Claude Muller, historien de Sassenage. La notice mentionne la pierre tombale et amène un éclairage général sur l’église Saint-Pierre de Sassenage.

    Modeste assurément, cette église n'est pas démunie de tout titre de noblesse.

    La doit-on, comme sa voisine "des Côtes de Sassenage", à une initiative de moines d'un prieuré cistercien? ou à celle de St Ismidon de Sassenage, devenu évêque de Die et mort en 1120, qui l'aurait fait bâtir pour honorer son pays natal et sa famille des barons de Sassenage?… Ce qui est sûr, c'est qu'elle fut donnée à l'évêque de Grenoble en 1080 par Hector de Sassenage, qui l'avait probablement financée.

    Sa partie la plus remarquable est son clocher (classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques), "petit joyau de style roman". Il repose sur une haute souche carrée sans ouverture, en grosses pierres de taille. Au dessus – fait très rare en Dauphiné – un double étage à baies ouvertes en arcs, avec colonnes en molasse, est surmonté d'une courte flèche pyramidale à base carrée. A chaque coin de celle-ci, un petit cône tronqué coiffé d'une sphère, parfois symbole de force spirituelle. Le dernier ravalement de l'ensemble date de 1980.

    La plus petite cloche est datée de 1633.

    Les travaux intérieurs de réfection et de restauration ont montré que le clocher n'est pas la seule partie médiévale :sa base (qui abrite une pierre tombale sculptée sur place – ébauche d'une double scène, descente de la croix et tombeau vide?) semble de la même époque, et l'abside et son grand arc seraient du Xllème.

    Le chœur a retrouvé en 1970 son ouverture romane sur le soleil levant.

    A droite en entrant, la chapelle de la famille Bérenger-Sassenage (classée à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques). Édifiée à la fin du XVème, ses murs ont révélé récemment des peintures successives du XVème au XIXème. Elle abrite depuis 1822 les cendres du Connétable de Lesdiguières, apparenté aux Sassenage, dont la famille a donné à l'Église trois évêques: outre St Ismidon, déjà nommé, Jean de Sassenage au début du XIIIème, et plus tard Guillaume, qui furent tous deux évêques de Grenoble.

    Au-dessus de l'autel, un "Christ en croix" anonyme, d'esprit janséniste.

    En face, la petite chapelle des fonts baptismaux a une jolie ouverture XVllème.

    La chapelle située à gauche du chœur comporte une sortie sur l'extérieur qui mérite d'être rénovée.

    Un plafond a fermé la voûte en mauvais état dans les années 60.

    En 1990, les peintures ont été refaites et le grand tableau qui orne le mur sud, a été restauré et reverni. Le thème en est la "remise du rosaire à St Dominique". On remarque le chien qui, aux pieds de celui-ci, porte le flambeau de la lutte contre les hérétiques.

    Les vitraux illustrent la remise des clés à St Pierre et la figure de St Ismidon pour le mur sud (seul le premier est daté -1884, mais ils semblent jumeaux), et Notre-Dame de La Salette au fond de l'église (1932).

    Notice établie en février 2002 – pour plus de détails, on peut consulter la plaquette sur Sassenage de Claude MULLER (référence ???)

    Personnages au tombeau
    Personnages au tombeau

    Enfin, je vous propose la lecture par Elyane Saussus, de la Commission d’art sacré du diocèse de Grenoble-Vienne :

    La pierre du clocher de Saint-Pierre de Sassenage

    Bas-relief datant sans doute du début 12e s, quand on redécouvrait la sculpture figurative (scènes bibliques). D’autres parties de l’histoire sont cachées (réemploi) ou ont disparu.

    A gauche nous sommes dans une enceinte terrestre sacrée symbolique (arcade d’église). C’est la descente de croix. Un homme enlève le dernier clou avec une tenaille. Derrière Jésus, Joseph d’Arimathie qui a réclamé le corps pour l’enterrer dignement. On ne voit que sa tête, ses pieds, et surtout ses mains entourant la poitrine de Jésus pour éviter la chute. Une femme (voile) est à gauche : elle tient le poignet du supplicié et caresse sa main avec amour. Elle regarde au loin vers « le ciel nouveau ». A cette époque il s’agit beaucoup plus sûrement de Marie-Madeleine (qui a osé « toucher » Jésus) plutôt que de la Vierge qui ne sera vraiment représentée que plus tard au pied de la croix. A gauche, plus de « toit » : l’ange est relié au ciel. Il se tient debout sur le tombeau ouvert et désigne son vide ! Le suaire sans corps de Jésus est posé au bord. La main droite de l’ange désigne le crucifié et relie ainsi dans une même scène la mort et la résurrection.
    A gauche du tombeau les « myrophores » comme les orientaux désignent les trois femmes au tombeau. Elles portent à bout de bras les aromates (myrrhe) pour l’embaumement. Mais l’ange va leur annoncer l’incroyable nouvelle : « Il n’est plus ici, il est vivant ! »
    Cette scène, très répandue dans les icônes le sera aussi dans l’art roman. Malgré son aspect « archaïque » et usé, on est touché par son sa simplicité profonde.

    11 Juin 2013.

     
    Merci à Jean-Paul Pasquier pour m’avoir signalé ce vestige et m’en avoir facilité la photographie !